Bug

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Thriller américano-allemand (2007), de William Friedkin avec Ashley Judd, Michael Shannon, Harry Connick Jr – 1h43.

Vivant dans un motel perdu au fin fond du Texas, Agnès reçoit des appels anonymes alors que son ex-mari violent vient d’être libéré sur parole. Elle fait la rencontre de Peter, un vagabond étrange mais apaisant qu’elle invite chez elle. Après avoir fait l’amour, l’homme découvre vite de microscopiques insectes dans le lit, des « aphides » qui se glisseraient sous leurs peaux. Menace réelle ou délire paranoïaque, quoi qu’il en soit, Peter et Agnès s’entraînent dans une spirale terrifiante…

Tombée sous le charme de la pièce qu’il voit à deux reprises lors du festival Off-Broadway en 2004, William Friedkin décide logiquement d’en acquérir les droits pour la porter sur grand écran. Son auteur Tracy Letts se charge lui-même de l’adaptation (un duo qui se reformera pour Killer Joe) tandis que Michael Shannon reprend le rôle de Peter qu’il interprétait déjà depuis la première représentation en 1996. Un personnage qui continuera de lui coller à la peau tant il entretient des similitudes avec celui qu’il jouera dans Take Shelter et qui achèvera de le révéler. Dans le rôle d’Agnès, Friedkin engage une Ashley Judd particulièrement motivée, voyant dans ce rôle intense l’occasion pour enfin montrer de quoi elle est capable (rappelons que l’actrice fût blacklistée par Harvey Weinstein). Pour incarner le beauf et violent Jerry, le cinéaste opte pour un heureux contre-emploi en choisissant l’acteur/crooner Harry Connick Jr. William Friedkin embarque tout ce petit monde dans un studio (apparemment un gymnase de la Nouvelle Orléans…) où est reconstitué le motel pour un tournage éclair de 21 jours. On connaît le goût du réalisateur pour l’urgence, s’aventurant rarement au-delà d’une seconde prise, et force est de constater que celle-ci lui permet largement d’aller jusqu’au bout de la folie de ses personnages.

En voyant Bug, il n’est pas difficile de voir ce qui a pu séduire Friedkin tant l’oeuvre traite frontalement de la paranoïa, thème cher au cinéaste (pour ne pas dire intime préoccupation…). Le réalisateur, réputé pour ne pas y aller avec le dos de la cuillère, installe d’entrée de jeu une tension palpable. S’ouvrant sur une vue aérienne nocturne du motel perdu au milieu du désert, parasitée par des sonneries de téléphone, le regard de Friedkin se resserre jusqu’à l’oppression sur une Ashley Judd déjà à bout de nerfs. La caméra est portée, le plan est tremblant, parfois recadré à coup de zoom ou entrecoupé par des jump cut (un effet de montage qui créé des sautes plus ou moins visibles à l’image). Le personnage d’Agnès craque sous la pression de ces coups de téléphone anonyme tandis que Friedkin nous montre qu’une fois de plus, il ne veut pas se contenter de nous embarquer au plus près de ses personnages, il souhaite carrément nous faire vivre leurs sentiments dans toute leur intensité. Si la rencontre avec Peter va marquer un moment d’apaisement, plan fixe à l’appui, celui-ci ne sera évidemment que de courte durée.

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Quand on est amoureux c’est merveilleux… même si ça gratte un peu !

Peter se montre vite inquiétant, obsédé par ces insectes invisibles aux yeux de spectateurs qui resteront incrédules, même après qu’Agnès affirme à son tour en avoir vu un. Forcément, tel des Saint Thomas de l’ère du cinématographe, difficile de reconnaître ce qui demeure imperceptible, d’autant que nos deux amants apparaissent bien perturbés et qu’on ne peut que le comprendre alors qu’ils révèlent leurs lourds backgrounds. Se débarrassant vite des autres protagonistes (le mari et la copine) au détour de scènes d’engueulades à couteaux tirés, ils se retrouvent vite isolés dans leur chambre, se laissant pleinement aller à une folie rythmée par le bruit d’un hélicoptère qui semble survoler la zone (et qui fait écho aux hélices du ventilateur). Mais comment aller encore crescendo dans un film autant sous pression ? Friedkin opte pour un dernier acte à la limite de l’abstraction, alors que l’image se fait bleue et que les murs se retrouvent recouverts de papier aluminium. Un final excessif, beau et brutal qui n’a pas dû déplaire à Gaspard Noé ou Fabrice DuWelz.

Si l’adaptation théâtrale a souvent été un bon moyen pour des réalisateurs plus tout jeunes de revigorer leurs cinémas, William Friedkin prouve ici qu’il n’a rien perdu de sa hargne en livrant ce film poisseux d’une tension rare. Bug est un gros bad trip paranoïaque qu’il est toujours aussi pertinent de (re)découvrir à une époque où les théories du complot suscitent toujours davantage les passions.

CLÉMENT MARIE

Autres films de William Friedkin sur le Super Marie Blog : The Night They Raided Minsky’s (1968) ; Le Convoi de la peur (1977) ; Police Fédérale Los Angeles (1985) ; The Devil and Father Amorth (2018)


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