En cas de malheur

mv5bnwzjnze4nwitotzlyy00zdq3lwe3mjatyjjizgfkzgnhzmyzxkeyxkfqcgdeqxvynzc5mja3oa4040._v1_sx759_cr00759999_al_Comédie dramatique française, italienne (1958) de Claude Autant-Lara, avec Jean Gabin, Brigitte Bardot, Edwige Feuillère et Franco Interlenghi – 2h02

Maître André Gobillot, avocat respecté, parvient à acquitter Yvette Maudet, jeune délinquante ayant braqué une bijouterie, grâce à un faux témoignage. Alors que le procès met en péril sa carrière, Gobillot devient l’amant de sa jeune cliente…

Comme un peu plus de 5 000 cinéphiles français, le Super Marie Blog a signé la pétition pour sauver le cinéma de minuit de Patrick Brion, menacé de déprogrammation pour la seconde fois en moins d’un an. Passé du dimanche soir sur France 3 au lundi soir sur France 5, le rendez-vous est maintenu et, on l’espère, pour longtemps puisque le cinéma de minuit est la dernière oasis du cinéma de patrimoine à la télévision française, longtemps après que la dernière séance d’Eddy Mitchell ou le cinéma de quartier et le quartier interdit de Jean-Pierre Dionnet ont baissé le rideau. A une époque où le cinéma devient de moins en moins attractif pour les chaînes de télévision, il ne reste guère plus qu’Arte et Brion pour diversifier les programmes au-delà des années 80 et des films cultes autrefois chéris, désormais gonflants.

Et du coup, ça faisait un moment qu’on avait pas fait un tour au cinéma de minuit et ça tombait bien puisque Patrick Brion est en plein cycle « monstres sacrés du cinéma français ». Et il y en a un sacré lot au générique d’En cas de malheur : Claude Autant-Lara à la réalisation, Jean Aurenche et Pierre Bost au scénario, d’après Simenon, et Gabin et Bardot qui se partagent le haut de l’affiche. Cette rencontre des générations devaient déjà être le principal argument promo à l’époque, ça l’est encore aujourd’hui entre Gabin, déjà pape du cinéma français depuis vingt ans, et la jeune Bardot venant d’être créée par Dieu et Vadim. Quant à Autant-Lara, il est alors au sommet de son âge d’or, n’en déplaise aux critiques pas encore cinéastes des Cahiers du cinéma qui le fustigent : deux ans après la Coupe Volpi du meilleur acteur décerné à Bourvil pour La Traversée de Paris, le réalisateur retrouvait la compétition de la Mostra de Venise avec En cas de malheur.

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Yvette Maudet (Brigitte Bardot) vient exposer son affaire au maître Gobillot (Jean Gabin) : dans ces conditions, c’est difficile de refuser…

Dans ce film, Jean Gabin se fait une bonne crise de la cinquantaine en emballant la Bardot ! Pourtant, au départ, quand elle vient le supplier pour la sortir de son coup manqué, il semble résister sans mal à la paire de jambes offertes sur son bureau. Gratis, il la sort de sa sale affaire, pas tout à fait dans les règles, en bon ténor du barreau trop heureux de venir facilement en aide à une gamine en détresse. C’est alors qu’il se livre à corps perdu et à carrière vacillante dans une relation avec Bardot, lui offrant un appartement luxueux et se voyant refaire sa vie avec elle, avec même un bébé en chemin. En cas de malheur déconcerte alors beaucoup : insensible au désarroi de la pauvre Edwige Feuillère, épouse esseulée de maître Gabin, le film dresse le tableau d’un étrange bonheur adultérin auquel on ne croit pas beaucoup et qui n’est plus seulement justifié par l’hybris d’un avocat tout-puissant. Gabin semble assez lucide pour ne pas se laisser mener par le bout du nez par la première jeunette venue et pourtant il se soucie moins du malheur planant sur sa carrière que du joli minois de Bardot.

Et Claude Autant-Lara se fait avoir de la même façon : semblant se désintéresser de l’histoire de Simenon, il préfère miser sur l’alchimie entre ses deux stars… qui n’existe pas vraiment. La rencontre entre Gabin et Bardot met surtout en évidence des personnages désuets, entre un avocat bien paternaliste (mais oui, mon petit) s’aveuglant à vouloir sauver une pauvrette de la rue, et ladite pauvrette, jeune femme un peu cruche n’ayant pour elle que son pouvoir de séduction et son extrême naïveté. Dans le fond, on a l’impression que le metteur en scène cherche à légitimer Bardot en la faisant jouer avec le patron qui la prend sous son aile, mais réduit l’actrice à son image la plus simple. Sans vous en dévoiler la fin, En cas de malheur se termine bien sur un malheur, mais il arrive trop tard pour nous attendrir. Cet Autant-Lara-là n’a donc pas très bien vieilli, donnant raison ce coup-ci aux critiques qui voulaient lui damer le pion.

BASTIEN MARIE


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