Le Faucon

jaquettePolar français (1983) de Paul Boujenah, avec Francis Huster, Guy Pannequin, Maruschka Detmers et Vincent Lindon – 1h35

Dévasté par la mort de sa femme et le coma de sa fille après un accident de voiture, le flic Frank Zodiak dit le Faucon se lance à la poursuite de Gus, un dangereux criminel venant de refaire surface…

Le Faucon, on l’avait déjà croisé dans les contrées de Nanarland avant d’apprendre il y a déjà plusieurs mois, à l’occasion d’un hilarant podcast NoCiné, que l’oiseau sortait en bluray. Il m’a fallu bien du courage pour le lire, ce bluray, mais je me suis tant délecté de la vision de ce nanar pur jus, tout à fait à la bassesse de sa réputation, que j’ai enchaîné immédiatement avec l’unique bonus du disque, une interview d’une demi-heure de Francis Huster. Il n’y parle du film que cinq minutes à peine, le temps de le comparer tout de même à A bout de souffle ! (juste avant de dire que Dr House a tout piqué au Grand Patron ; le mec ne doute vraiment de rien !) Du moins, il compare les scénarios des deux films, tenant sur une page écrite, dans le cas du Faucon, à six mains tout de même (dont celles d’Alain Attal, futur producteur de Guillaume Canet). C’est Paul Boujenah, frère de Michel et qui n’avait alors signé qu’une adaptation officieuse de Gaston Lagaffe avec Daniel Prévost, Marie-Anne Chazel et Lorraine Bracco (?!), qui apporte le projet à Huster, ce dernier voyant en lui à l’époque (car maintenant y a prescription) la fougue d’un Godard. Le comédien ramène sur le tournage ses élèves, stars en devenir (Vincent Lindon, Isabelle Nanty, Agnès Jaoui), venant tous tenir un rôle qu’ils seront amenés à renier, pendant un tournage éclair battant le pavé parisien. A une époque où Bernard Giraudeau ou Gérard Lanvin enchaînaient ce genre de polar à succès, même Le Faucon faisait assez illusion pour rassembler en salles quelques 750 000 spectateurs !

Figurons-nous que comparer Le Faucon et A bout de souffle n’est pas totalement insensé sur le papier : les deux films ont en commun la jeunesse de ses réalisateurs, leurs scénarios prétextes inspirés par la série B américaine, un acteur principal se livrant à une interprétation nonchalante d’un archétype du polar, un tournage à l’arrachée dans Paname, le tout pour un résultat déconcertant. Sauf qu’A bout de souffle était déconcertant parce qu’il brisait savamment les codes du cinéma alors que Le Faucon déconcerte par son ignorance de ces mêmes codes, le génie de Godard se retrouvant substitué par l’extrême naïveté (pour rester poli) de Boujenah. Ce dernier réussit bien malgré lui quelques exploits : celui de signer un polar beaucoup plus drôle que ses comédies, celui aussi de tourner un film qui se résume à une course poursuite en réussissant à rendre ça chiant et décousu. Dès ses premières minutes, Le Faucon déraille complètement, perd une ligne claire qu’il ne retrouvera jamais. Dès lors, le film déploie un ahurissant florilège de faux raccords, d’incohérences, de punshlines navrantes, de courses molles, de scènes ubuesques, de dérapages incontrôlés, avec comme seul point d’ancrage l’interprétation fiévreuse de Francis Huster, son regard tourné sur le vide abyssal, noyant son chagrin dans le Coca Cola et les cheeseburgers, traînant la patte dès qu’il faut courir (et il court beaucoup même s’il n’est pas Belmondo !) et en se lançant dans des monologues incompréhensibles qui lèvent le voile sur le néant du personnage du faucon, qui n’a jamais tué.

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Francis Huster harcèle Vincent Lindon pour jouer dans Le Faucon « Fais pas le con, Vincent ! Ce film, c’est la chance de ta vie ! »

Comme tout bon nanar qui se respecte, on pourrait décrire Le Faucon de A à Z dans les moindres détails qu’on n’effleurerait toujours pas la magie démente de l’expérience. Dès lors, chaque spectateur piochera dans ses moments préférés qui l’auront laissé hilare. Pour ma part, ce serait les étranges rapports qu’entretient le faucon avec les enfants, du moment où il drague une gamine dans un magasin de jouets à celui où il se trouve un improbable sidekick dans un parc en la personne d’un gosse à vélo qui lui adresse un clin d’œil complice après l’avoir sauvé du terrible Gus. Ou alors sa façon bien à lui de réquisitionner le véhicule d’un pauvre civil, en lui braquant son pétard sur la tempe et en bouffant ses chocolats dégueulasses. Ou alors le flashback romantique dans un rade à burgers douteux, où tombent amoureux Huster et Maruschka Detmers dans un moment de gêne au-delà des mots. Le Faucon est bourré de bourdes anthologiques et, quand on croit en avoir fait le tour, le film a le culot de s’achever dans un musée du cinéma, cachet d’authenticité de la conviction de Paul Boujenah derrière ce film complètement raté. Au paroxysme de l’abstraction de la course-poursuite, Francis Huster traverse les décors de l’expressionnisme allemand, opposant aux fantômes de Murnau et Wiene sa propre banale carcasse, nageant dans un cuir informe et rapiécé, déambulant à bout de souffle (pour de vrai, mais il n’est toujours pas Belmondo) au bout de son marathon parsemé de cheeseburgers qui a bien failli nous achever de rire.

BASTIEN MARIE


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