Ne coupez pas !

mv5byju4y2m3yzitymizny00ntixltg1ntqtnwvknwqzndq5yzm2xkeyxkfqcgdeqxvymty1nzy2na4040._v1_カメラをとめてない!Kamera o tomeru na ! Film d’horreur japonais (2017) de Shin’ichirô Ueda, avec Takayuki Hamatsu, Yuzuki Akiyama, Harumi Shuhama, Kazuaki Nagaya et Hiroshi Ichihara – 1h36

Une équipe de tournage fait un film de zombies dans un bâtiment datant de la Seconde Guerre mondiale, jusqu’à ce que de véritables zombies s’invitent sur le tournage…

Attention, cette bafouille contient des spoilers ! Il est donc impératif d’avoir vu le film avant de la lire. Merci de votre compréhension.

Cela fait une paye qu’un tout petit film, venu de nulle part, visiblement tourné avec des bouts de ficelles, n’a pas fait un carton en laissant la plupart de ses spectateurs extatiques face à son ingéniosité précoce et fauchée. Je parle d’un film à la Evil Dead ou Bad Taste qui dépasse son maigre budget par une passion et un enthousiasme évident pour le genre. Et bien on en tient un avec Ne coupez pas ! car même s’il s’avérait qu’il n’a pas un talent aussi durable que ceux de Sam Raimi ou Peter Jackson, Shin’ichirô Ueda pourra au moins se targuer d’avoir tenu un premier succès aussi inattendu que ceux de ces aînés. Jugez-en par vous-mêmes : Ne coupez pas ! est à la base un film d’étudiants, tourné en quelques jours à l’occasion d’un modeste atelier de cinéma pour la modique somme de 25 000 dollars (oui, je préfère parler en dollars, car en yens, on est facilement millionnaire). Ça partait donc pour être un film dont personne ne se souviendrait hormis ceux qui l’ont fait, gardant une copie vidéo à la maison pour la montrer plus tard aux petits-enfants. Sauf qu’à force de passages en festivals et d’accueils dithyrambiques, Ne coupez pas ! a fini par sortir en salles et y faire un carton au Japon. Si bien que le film a rapporté à l’heure actuelle plus de 250 millions de dollars (alors imaginez en yens !). Deux ans après le tournage, la hype arrive en France, d’abord par une nouvelle séance remarquée au festival du film fantastique de Paris, puis grâce à un distributeur (Les Films de Tokyo, qui semble avoir été créé pour l’occasion) assez suicidaire pour sortir le film dans une poignée de salles françaises. Quelques chanceux auront donc eu l’occasion de découvrir Ne coupez pas ! sur grand écran, tandis que dans son pays natal il fait déjà l’objet d’une suite télévisée, One Cut of the Dead Spin-off in Hollywood !

Si vous avez vu le film (sinon, il ne faudrait vraiment pas lire plus loin, car ça vous gâcherait une surprise de taille !), sans doute en pensant qu’il ne s’agissait que d’un film de zombies, vous avez donc vu sa première demi-heure bien Z, filmée dans un plan-séquence aux cadres incertains, à la photo fadasse et aux zooms kitsch, bourrée d’incohérences et de moments de gêne, avec sa jolie actrice condamnée à hurler éternellement. Quand est arrivé le générique de fin (ou plutôt le générique de milieu), vous vous êtes sans doute interrogés sur la hype qu’avait acquis Ne coupez pas ! en festivals, alors qu’il ne ressemble jusque là qu’à un film de zombies maladroit et anonyme. Puis arrive le contrechamp de ce plan-séquence, racontant la nature du projet (un film diffusé en direct pour lancer une chaîne de télé), la personnalité de ceux qui l’ont fait (des starlettes irritantes, des producteurs peu regardants et un réalisateur moyen mettant plus de cœur qu’il ne le croit à l’ouvrage), et surtout le tournage rocambolesque qui explique, rétrospectivement et avec beaucoup d’humour, les bizarreries de la première partie.

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Le réalisateur Higurashi (Takayuki Hamatsu) veut bien vous faire comprendre que quoiqu’il arrive, il ne coupera pas !

C’est dans ce second acte (qui à mon sens devrait rester secret avant de voir le film) que Ne coupez pas ! puise toute sa force inattendue, rejoignant le Ed Wood de Tim Burton dans sa déclaration d’amour au cinéma, même dans sa forme la plus désuète. Car la qualité du résultat final, dont on est déjà au courant, importe moins que d’y parvenir pour les personnages hyper impliqués, quand bien même ils savent que leur projet est modeste. Le film de Shin’ichirô Ueda et l’ampleur incroyable qu’il a pris de projections en projections résonne avec sa propre mise en abyme, son propre film dans le film dans le film (si on compte le petit making of post-générique, vous suivez toujours ?). Et suivre les mésaventures de cette équipe de tournage anodine est hilarant autant qu’émouvant : la relation entre le réalisateur et sa fille téméraire est touchant, mais au-delà d’eux, on a surtout mis des visages et constaté un dévouement derrière le film qu’on a eu tôt fait de juger. De quoi faire réfléchir les virulents critiques qui sabordent des films sans prendre en compte les sentiments de ceux qui les font (à noter qu’au Super Marie Blog, nous ne nous considérons pas comme des critiques, mais si vous voulez nous taper sur les doigts quand même, allez-y…). Ne coupez pas ! tient donc un chaleureux discours méta, une brève critique de l’industrie cinématographique japonaise également, entre fausse modestie (puisqu’il a bien fallu que Shin’ichirô Ueda, en vrai, vienne à bout de son plan-séquence d’ouverture, qui a nécessité six prises en trois jours !) et vrai amour du cinéma, comme une Nuit américaine Z.

BASTIEN MARIE


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