Babel

mv5bzjrhmzc5ntktzwm1ys00ndhilwi2mtctnzk2yju3mdkzzji0xkeyxkfqcgdeqxvynjyymtyxmzk40._v1_Drame américain, mexicain (2006) d’Alejandro Gonzalez Iñarritu, avec Brad Pitt, Cate Blanchett, Gael Garcia Bernal, Adriana Barraza, Elle Fanning, Nathan Gamble, Kôji Yakusho et Rinko Kikuchi – 2h23

Au Maroc, une touriste américaine se fait tirer dessus, un événement qui provoque des répercussions dans trois autres pays du monde…

Après sa fracassante révélation à la Semaine de la critique cannoise avec Amours chiennes (2000) et un premier essai hollywoodien transformé avec 21 Grammes (2003), Alejandro Gonzalez Iñarritu clôturait une sorte de trilogie de récits éclatés avec Babel, film à l’ambition mondialiste puisque son histoire se déroule simultanément dans quatre pays différents ! Avec un beau couple de stars en haut de l’affiche, Cate Blanchett et Brad Pitt (ce dernier renonça à un rôle dans Les Infiltrés qu’il produisait en même temps que ces vacances au Maroc), le cinéaste mexicain comptait ainsi confirmer sa place d’auteur incontournable, non sans un certain ego qui le fit se brouiller avec son fidèle coscénariste Guillermo Arriaga qu’il a tenté de discréditer. Son pari fut tout de même remporté puisqu’il a été récompensé par le prix de la mise en scène à Cannes et par le Golden Globe du meilleur film dramatique. En plus de clore une trilogie personnelle, Iñarritu en formait une autre avec ses deux compatriotes avec lesquels il fera une moisson d’Oscars la décennie suivante, Alfonso Cuaron et Guillermo Del Toro, qui sortaient respectivement en cette même année 2006 Les Fils de l’homme et Le Labyrinthe de Pan. Trois films sombres et ambitieux sur l’humanité, passée (Del Toro), présente (Iñarritu) et future (Cuaron).

Honnêtement, que ce soit pour l’une ou l’autre des trilogies, Babel est toutefois l’oeuvre la plus faible. Il est un peu moins abouti et marquant que l’angoissante fable SF de Cuaron et le conte désespéré de Del Toro. Et en ce qui concerne uniquement le cinéma d’Iñarritu, Babel trahit un essoufflement plus qu’il ne révèle un épanouissement de ses récits éclatés entre plusieurs personnages et lieux. Son film suivant, Biutiful (2010), sera d’ailleurs centré sur un seul personnage, collant aux basques de Javier Bardem. En attendant, Babel se (la) raconte entre Maroc, Japon, Etats-Unis et Mexique, avec au milieu un drame faussement terroriste mais vraiment accidentel. Cependant, il n’y a pas de véritable causalité entre les pistes d’Iñarritu, juste différentes histoires attachées entre elles par un lien fragile. Si fragile que l’ensemble ressemblerait plutôt à un film à sketchs, avec des segments autonomes et donc inégaux (l’épisode japonais est par exemple plus réussi que le mexicain), quand bien même le film voudrait nous convaincre de l’inverse.

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Richard (Brad Pitt) donne des mauvaises nouvelles de ses vacances au Maroc à ses enfants.

En revanche, Babel fait un portrait très juste du monde du XXIème siècle balbutiant, et ce n’est pas pour rien qu’il emprunte son titre à la tour biblique divisant l’humanité en une multitude de langues. Parlant anglais, arabe, espagnol, japonais et langue des signes, Babel devient forcément un film de l’incompréhension, faisant fonctionner son suspens et son drame sur le profond isolement de tous ses personnages, de la famille américaine divisée à l’adolescente japonaise sourde, en passant par la nourrice mexicaine déracinée. Et la communication ne se complique pas seulement par les différentes langues mais aussi par les non-dits et les mensonges. Babel est frappé par ce désespoir de personnages solitaires jusque dans leurs relations (en cela, Brad Pitt livre une prestation particulièrement mélancolique de mari tentant de sauver ce qui peut l’être), tout autant que par une mondialisation paradoxale : la communication y est instantanée mais difficile, rendant le monde à la fois plus accessible et plus complexe. En tentant d’embrasser ce monde chaotique, Iñarritu n’a clairement pas manqué d’ambition. Dommage que son récit soit parfois aussi confus que ce qu’il observe…

BASTIEN MARIE


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