Film social français (2018) de Stéphane Brizé, avec Vincent Lindon – 1h53
Le leader syndical Laurent Amédéo lutte pour sauver les 1100 employés de la fermeture injustifiée de son usine à Agen…
Après le succès de La Loi du marché (2015), Stéphane Brizé et Vincent Lindon poursuivent leur croisade de cinéma social avec En guerre. Au lieu du chômeur esseulé pris d’un cas de conscience (et prix d’interprétation pour l’acteur), ils racontent cette fois une lutte collective, celle des 1100 employés d’une usine tentant de sauver leur emploi, inspirée des employés d’Air France qui dont déchiré la chemise d’un de leurs cadres. Une image qui avait fait la joie de BFM TV et si En guerre n’est pas exempt d’images de reportages télé plus vraies que nature, Brizé entend surtout poser sa caméra là où elle est habituellement absente : dans les réunions de crise et de négociations. Le film ne devrait pas avoir le même succès que son prédécesseur – pas de mention au palmarès cannois, un million d’entrées difficilement atteignable – faute à une sensation de redite. Moi-même n’ai pu retenir un soupir lors de son annonce dans la sélection du festival de Cannes. Je le regrette maintenant, car En guerre est un film beaucoup plus réussi que son modèle, dans lequel Lindon est cette fois vraiment acteur plutôt que témoin de l’action avec son œil torve au-dessus de sa belle moustache de chômeur.
Si En guerre est loin d’être un film parfait, le dispositif de Stéphane Brizé trahissant encore de sérieuses limites, il se montre tout de même digne de son ambition accrue et s’attache sans peine l’indignation du spectateur face à la lutte de ses syndicalistes se retournant peu à peu contre eux-mêmes. Dans sa mise en scène, Brizé tire parti de la multitude d’images qui racontent son histoire et évite le piège que pouvaient lui tendre ses faux reportages télé. Ceux-ci ne sont pas simplement le gage d’un souci de réalisme un peu vain, mais bien le point de vue faussé des médias sur l’affaire, guettant son explosion qui finira par décrédibiliser le mouvement. Un mouvement que Brizé met rigoureusement en scène ailleurs, montrant une aisance permanente à saisir les conversations à couteaux tirés entre ses nombreux personnages (alors que La Loi du marché collait aux basques de son vigile, reléguant l’environnement professionnel hostile qu’il voulait dénoncer dans un flou bien prudent), et au milieu desquels Vincent Lindon est au sommet de sa conviction, jouant jeu égal avec les non-professionnels qui l’entourent. Il ressort d’En guerre une colère plus sincère et mieux portée, là où son prédécesseur se drapait dans une panoplie de film social toute faite.

Cependant, En guerre ne se débarrasse pas des limites du style Brizé, assumant mal le paroxysme des situations qu’il expose. Sa caméra laisse les séquences s’envenimer et surchauffer avant de les conclure par un brutal écran noir. Un tic qui agace moins cette fois tant il participe à la frustration des syndiqués à ne jamais trouver un interlocuteur, comme la musique qui répète obstinément de sourds riffs de guitare qui ne décollent jamais. Et le scénario est assez bien mené pour rendre compte de l’évolution de la grève, amenant une structure qui empêche le film de bégayer. Mais en bon réalisateur du « jusqu’ici, tout va bien… jusqu’ici, tout va bien… » esquivant l’atterrissage, Brizé a du mal à conclure. Déjà, La Loi du marché se terminait bizarrement là où il aurait presque dû commencer ; cette fois, En guerre ajoute un épilogue de trop, tout aussi maladroit à viser dans le mille de son sujet. La dénonciation du réalisateur peut donc sembler inaboutie, mais au moins En guerre est d’une précision redoutable et fortement irritante sur la déliquescence du monde du travail français. Et ça donne envie de tout péter, c’est le principal.
BASTIEN MARIE